ETHIOPIE / Ferveur, les mystiques de Sheikh Hussein

Dans la province montagneuse du Balé, terre du peuple Oromo, il faut pour les rares étrangers privilégiés, deux jours de routes et de pistes depuis Addis Abeba pour rejoindre le village d’Annajina, communément appelé village de Sheikh Hussein, là où deux fois par an se tient depuis des siècles le plus important pèlerinage musulman de toute la corne d’Afrique.
Trop pauvres pour effectuer le pèlerinage vers la Mecque, des dizaines de milliers de pèlerins (les chiffres sont aléatoires, entre 20000 et 40000) arrivent jour et nuit de toutes les régions d’Ethiopie mais aussi de Somalie, d’Erythrée ou du Kenya. Le périple peut durer plusieurs jours à plusieurs mois selon qu’ils voyagent à pied, à cheval ou en bus. Tous - hommes, femmes, animistes, musulmans, chrétiens aussi - animés par la même ferveur pacifiste, convergent entre autres lieux sacrés du site, vers le mausolée de Sheikh Hussein pour célébrer ce saint qui introduisit l’Islam au XIIIè siècle dans les immenses territoires Oromo.
Sheikh Hussein, grand sage, prophète, faiseur de miracles, père de l’amour.
A la croisée de l’islam et des croyances africaines, le lieu devient jour et nuit un enchevêtrement de manifestations et de rites propres à chaque appartenance tribale. Les croyants unissent leurs chants de louanges, échangent embrassades fraternelles et larges sourires, ou invoquent paumes de main au ciel la bénédiction du Sheikh. Les ruelles du village, les arcades d’enceinte, le creux des grottes sacrées et des mausolées, deviennent un véritable refrain à ciel ouvert de prières lancinantes, de recueillements silencieux, et de chants festifs.Tous sont ici pour demander une guérison, une bonne récolte, ou la protection du bétail. Mais aussi remercier d’un miracle accompli, ou réitérer leurs voeux afin d’écarter les esprits et gagner les faveurs de Waq, la divinité des ancêtres. Les femmes, parfois en larmes, le visage et le ventre recouverts de terre sacrée, implorent le miracle de la fécondité dans un état de semi transe. Le regard des fidèles est semblable aux incantations et supplications : il semble venir d’un au delà. Ce sont de simples paysans, nomades, dévots, villageois ou ermites, mais tous sont animés de l’aura de leur bienfaiteur Sheikh Hussein.
Durant ces quelques jours d’une fête vastement syncrétique, on ne peut que se laisser porter par le va et vient incessant des croyants qui d’un regard, d’une main tendue ou d’une franche et troublante accolade, vous invitent à partager et communier avec eux. Le mélange d’effervescence et de sérénité qui émane de ce lieu laisse l’émotion de chacun sans repos. Le jour de l’Aïd marque la fin du pèlerinage et l’unique rassemblement de tous les fidèles pour assister au grand prêche de l’imam. Femmes d’un côté et hommes de l’autre, il règne en ce dernier matin de célébrations un silence inhabituel sur les hauts plateaux d’Ethiopie...Puis, comme repus et illuminés de l’esprit saint, les mystiques d’Annajina se disperseront lentement, chacun reprenant son chemin de retour, jusqu’au prochain pèlerinage...
Expositions :
Nuits Photographiques de Pierrevert (2015)
Galerie Maupetit-Actes Sud Marseille (2016)